ANNICK DESCHAMPS / NEWSLETTER – MARS 2024

Des collaborateurs qui ne se parlent plus, des informations qui ne circulent pas, et des projets qui stagnent ? En entreprise, toute équipe peut connaître des moments de blocages. Annick Deschamps, coache professionnelle certifiée chez Oasys a l’habitude de dénouer les conflits. Explications.

Le fonctionnement humain a toujours intrigué Annick Deschamps. Licenciée en psychologie de l’Université de Genève, et responsable en ressources humaines dans sa première vie professionnelle, elle s’oriente ensuite dans le domaine de la transition de carrière et l’accompagnement individuel et collectif. Elle entame à ce moment-là une formation, devient coache professionnelle certifiée (IDC), et choisit une approche plus globale. Elle s’intéresse depuis toujours au développement des individus au sein de l’organisation, aux différentes postures, aux dynamiques d’équipes. Depuis onze ans chez Oasys, elle travaille sur de nombreux métiers. À partir de 2018, elle se forme à l’analyse transactionnelle, et à l’accompagnement de groupes ou de particuliers « pour l’ici & le maintenant ». Une méthode qui s’applique à bien des champs, y compris hors de l’entreprise (éducation, soins). Et qui permet de conscientiser des difficultés ou conflits latents. « Je souhaite préciser, et c’est important d’un point de vue éthique, que je ne suis pas une médiatrice. Ma mission est de rendre visibles des blocages », insiste-elle.

Vous utilisez l’analyse transactionnelle, quels en sont les principes ?

Annick Deschamps : Parfois mal comprise ou galvaudée, l’analyse transactionnelle (AT) est une théorie de la personnalité et de la communication. Elle vise à décrire le fonctionnement intrapsychique, pour décrypter nos interactions. Elle repose sur l’idée que nous avons tous des structures psychiques (parent, adulte, enfant), et que nous les endossons, parfois à tour de rôle, dans chacune de nos relations. Cette approche apporte une meilleure compréhension de ce qui se dit, ce qui se vit dans une équipe, elle « décode » ce qui se joue entre des individus et en soi-même. L’AT permet notamment de mettre des mots sur des émotions, dans un cadre protégé.

Quel est l’objectif de vos interventions en entreprise ?

Le but, c’est que l’équipe puisse fonctionner ! La première étape c’est d’arriver à reconnaître qu’une situation a conduit à l’état actuel des choses, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, à un blocage. Ensuite, l’enjeu est de réussir à ce que les personnes concernées parviennent à se parler. Quelquefois, au sein d’une même équipe, les membres ne communiquent plus entre elles et la collaboration devient alors impossible…

Enfin, le travail ne vise pas à ce que des collègues modifient radicalement leur comportement, mais on peut observer des changements — c’est un effet collatéral fréquent — parfois une à deux semaines après l’intervention.

Quels cadre et principes mettez-vous en place ?

Tout dépend toujours de la demande qui arrive jusqu’à nous. Mon éthique et celle d’Oasys c’est d’avoir un cadre déontologique bien défini. Cela implique des questionnements du type : est-ce que j’ai les compétences ? Cette demande n’est-elle pas un alibi ? Est-elle formulée par les bonnes personnes ? Quels sont les enjeux hiérarchiques ?

Si je perçois qu’une demande n’est pas claire, que je peux être instrumentalisée, je refuse. Par exemple, si des salariés pouvaient se retrouver visés par des sanctions. Pour moi, toute hypothèse de ce type représente un danger. Si le contexte n’est pas suffisamment libre, les personnes concernées ne vont pas s’investir dans un processus qui reste engageant et implique de manifester ses émotions.

Parmi mes principes, il y a la confidentialité, une place pour le ressenti, du respect — par exemple, on n’interrompt personne —, un espace pour la spontanéité. Il y a ce qu’on appelle des « permissions » et des « protections. » Ce cadre permet de faire émerger des choses, mais on ne sait jamais ce qui adviendra.

Quels outils privilégiez-vous ?

Il n’existe évidemment aucune technique magique. Toutes les initiatives visent à favoriser l’expression de la parole. Souvent elle est bloquée pour plusieurs raisons. C’est pourquoi je démarre toujours par des entretiens individuels avec chacun et chacune. Ensuite, j’anonymise ces propos et je reflète ce que j’ai entendu au sein du groupe : souffrance, violence, agressivité, incompréhension. Cela provoque systématiquement des réactions. Et là, le travail collectif commence.

Faire émerger un conflit, le rejouer est-il efficace ?

Si un différend déborde, on peut toujours le contenir, c’est l’enjeu du cadre. Les participants peuvent se disputer devant moi, je ne prendrai pas parti, mais j’assure qu’aucune violence verbale ni physique n’ait lieu, et je vise à laisser s’exprimer les émotions, à ce qu’elles soient reformulées. De facto, j’interviens au service du groupe. Parfois, un conflit ne sera pas résolu, mais l’enjeu n’est pas là : il sert de révélateur de dysfonctionnements, de crises sous-jacentes, d’évolutions non conscientisées. Une personne prend ainsi conscience qu’elle ne souhaite plus rester dans l’équipe, qu’elle ne trouve plus sa place…

En quoi ces interventions peuvent-elles s’avérer transformatrices ?

S’écouter, se positionner, entendre les perceptions de ses pairs permet de prendre conscience de ses propres responsabilités et de sa propre autonomie dans un processus existant. Chacune et chacun réalise qu’il a un rôle à jouer, et peut se mettre en mouvement dans ce qui lui appartient. Enfin, comprendre les autres, c’est réaliser que nous avons besoin d’eux, mais aussi qu’ils sont tout aussi légitimes que nous, dans leurs demandes et leur fonctionnement.

Peut-on résoudre un conflit en trois demi-journées ?

C’est le format que j’ai identifié pour la dernière situation que j’ai traitée, mais tout dépend bien entendu de l’entreprise et de sa demande. Et attention, il ne s’agit pas de résoudre, mais plutôt de favoriser, aider, débloquer… Je ne vends pas de solution, je ne suis pas une magicienne ! Chaque intervention demande ensuite un suivi de la part des responsables d’équipes.

À quoi faut-il faire attention quand on agit en tant qu’externe dans ces situations ?

On ne peut jamais s’assurer que tout va se dérouler parfaitement. Si quelqu’un vit mal le moment, amène des problématiques intimes ou très personnelles, on prend le temps de les accueillir. Je m’interroge toujours sur la limite de mes compétences, et sur la manière de recevoir chacune et chacun dans sa globalité, physique et psychique.

Qu’aimez-vous dans ces missions ?

Pour moi, c’est l’activité la plus gratifiante ! Tout d’un coup, on plonge au cœur de l’individu, de son psychisme, son mode de fonctionnement intrapsychique. Au sein d’une équipe, on essaye de comprendre ce qui se joue, les énergies, les dynamiques de groupe. Pour moi cela reste fascinant, extraordinaire, j’apprends toujours. Et cela me relie à mes aspirations les plus profondes.