Comment gérer les changements en tant que DRH et assurer la responsabilité sociale de l’entreprise lors de restructurations ?

Peu d’entreprises sont épargnées par les vagues de restructuration et de réduction d’effectif. La mission des DRH est stratégique pour accompagner les changements et l’évolution des métiers. Et même lorsqu’une société est amenée à cesser son activité, elle peut veiller à l’avenir de ses collaborateurs en assurant leur transition professionnelle. Découvrez le témoignage inspirant du DRH des Editions Atlas, Thierry Desarzens, qui a piloté les négociations d’un plan social et choisi d’accompagner le personnel jusqu’au bout de l’aventure.

Qu’ils doivent se repositionner face à la concurrence, faire évoluer l’offre ou même repenser la stratégie d’entreprise, les dirigeants d’aujourd’hui doivent avant tout piloter les changements qui vont amener de la performance et pérenniser l’activité. Notamment en raison des évolutions technologiques constantes, certaines fonctions peuvent s’avérer en inadéquation avec les besoins. Lorsqu’un repositionnement à l’interne n’est pas envisageable, cela peut entraîner des licenciements parfois suivis, peu après, par le recrutement de nouveaux profils plus adaptés. Dans de telles conditions, comment une entreprise veille-t-elle à sa responsabilité sociale ? Comment se préoccupe-t-elle de ses collaborateurs ?

On ne le dira jamais assez, le rôle du DRH est central pour conseiller la direction et proposer les mesures les plus adéquates pour accompagner les employés dans leur transition professionnelle et les aider à rapidement reprendre pied sur le marché du travail. La communication à l’interne est déterminante pour que les équipes restent motivées malgré les départs. Un collaborateur fait preuve d’engagement envers son employeur lorsqu’il constate que celui-ci s’est montré socialement responsable en prenant soin des personnes touchées par une restructuration. Au final, le climat de travail s’en trouve préservé et demeure stimulant.

Interview de Thierry Desarzens, HR Director aux Editions Atlas

Durant des décennies, les encyclopédies et livres de collection Atlas ont été prisés par les familles. Mais voilà, internet a révolutionné l’accès à la connaissance et aux loisirs. Un marché en régression, le non-renouvellement de la clientèle, la numérisation et le franc fort ont contraint l’entreprise à réduire progressivement la voilure en prévision de sa fermeture définitive courant 2019. A travers l’expérience de Thierry Desarzens, intéressons-nous à sa vision de la responsabilité du DRH. Il nous explique sans langue de bois comment il a géré les phases successives de réduction des effectifs et accompagné les collaborateurs.

Quand avez-vous pris conscience que la situation des Editions Atlas était grave ?

Lorsque j’ai pris la Direction des ressources humaines en 2013, j’ai vite réalisé que l’activité était en forte baisse et qu’aucune perspective d’amélioration ne se dessinait. J’ai senti que l’entreprise n’allait pas pouvoir continuer longtemps ainsi. Nous étions alors 330 employés, j’ai déjà dû procéder à une première réduction d’effectif et mettre en place une nouvelle organisation. J’ai saisi que l’avenir de l’entreprise était compromis et que l’accompagnement du personnel allait être au centre de ma fonction.

Comment vit-on l’annonce de la fermeture d’une entreprise ? 

Nos collaborateurs étaient conscients de la situation très difficile, mais ils gardaient au fond d’eux l’espoir d’un redémarrage. Alors, c’est un choc quand nous apprenons en 2017 que le point de non-retour est atteint et que nous devrons mettre la clé sous la porte en 2019. Une fermeture provoque un effet de sidération, c’est d’autant plus difficile à accepter lorsque la société a eu du succès durant des décennies et que ses produits ont été appréciés par des générations de clients. Et c’est vraiment cruel, injuste, pour des employés tant attachés à leur entreprise qui a si bien su cultiver l’esprit de famille.

Avez-vous envisagé de quitter le navire ?

Je me suis naturellement interrogé sur ma propre situation, mais rapidement et depuis le début cela a été très clair dans ma tête. J’ai décidé d’aller jusqu’au bout de l’aventure, car j’ai éprouvé le besoin de soutenir les employés pour qu’ils traversent cette épreuve le mieux possible. Je sentais cela comme un devoir face à des gens tellement soudés et qui entretenaient une relation si particulière avec « leur entreprise ». En tant que DRH, je voulais aussi jouer mon rôle envers les propriétaires qui ont accepté d’accompagner la transition professionnelle de leurs collaborateurs et ainsi fait preuve de responsabilité sociale. La confiance et l’écoute qu’ils m’ont témoignées ont donné tout son sens à ma mission.

Comment avez-vous accompagné les collaborateurs dans la durée ?

Ma préoccupation et ma responsabilité a été d’armer au mieux nos collaborateurs pour assurer leur avenir professionnel. Certains d’entre eux avaient beaucoup d’ancienneté et n’avaient parfois connu que les Editions Atlas. L’anticipation de la baisse de nos activités et la gestion rigoureuse de nos effectifs ont permis d’avoir toujours un temps d’avance pour atténuer les répercussions pour nos employés. De l’attention a été portée à chaque situation individuelle et nous avons recouru plusieurs années de suite à l’expertise d’Oasys Consultants pour que ses spécialistes en transition professionnelle accompagnent le plus possible en amont les personnes touchées et les aident à se profiler sur le marché de l’emploi ou à envisager un changement de métier.

Quel rôle avez-vous joué lors de l’annonce de la fermeture en 2017 ?

J’ai été au cœur des opérations puisque j’ai initié puis conçu le dispositif d’accompagnement des collaborateurs. En accord avec les propriétaires, j’ai piloté avec le soutien de deux collègues du comité de direction, les négociations du plan social avec les représentants du personnel pour trouver un accord sans l’intervention des syndicats externes. Mon rôle a donc été stratégique, j’ai dû évaluer et planifier les choses dans les moindres détails, anticiper pour gérer le facteur temps et la pression. Et surtout beaucoup communiquer pour expliquer les choses et convaincre. On peut dire que mon rôle a été celui d’un facilitateur qui a dû à la fois faire preuve d’empathie et de fermeté pour veiller aux intérêts des employés en tenant compte des moyens de l’entreprise.

Comment les choses se sont-elles déroulées ?

Il a fallu beaucoup communiquer à l’interne pour expliquer la situation aux employés et ancrer l’idée que le compte à rebours avait commencé, tout en annonçant une première suppression de 60 postes et la baisse progressive des effectifs jusqu’en 2019. Nous avons rencontré les collaborateurs pour leur dire le plus précisément possible comment les choses allaient se passer et leur présenter le dispositif d’accompagnement professionnel que nous leur proposions. D’emblée, nous avons choisi de dire la vérité et avons échangé de manière honnête, ce qui a permis de dissiper certaines craintes. Nous avions étudié au préalable la situation individuelle des 60 personnes concernées par cette première étape afin de leur apporter des réponses précises. En allant au contact des employés à de multiples reprises, nous avons réussi à instaurer un vrai dialogue et installer un climat de confiance. Lorsque nous n’avions pas la réponse à une question, nous nous sommes engagés à clarifier les choses dans un délai de 48 heures, puis avons publié toutes les questions et réponses sur intranet pour que tous aient accès à l’information. L’immédiateté et la transparence de notre communication ont suscité la confiance de notre personnel, ce qui a permis de négocier à l’interne les modalités du plan social.

Quel accompagnement avez-vous proposé aux employés ?

Notre dispositif a compris le versement d’une indemnité de départ destinée à limiter l’impact d’une éventuelle perte de salaire, un accompagnement qualitatif en transition professionnelle sous forme d’ateliers dispensés par Oasys Consultants sur le temps de travail, l’allocation d’un budget individuel pour financer une formation ou une reconversion professionnelle ainsi que l’accès à des cours d’informatique et de langues. Mais, pour certains, c’était difficile à intégrer, le ciel leur tombait littéralement sur la tête et ils auraient plutôt souhaité une indemnité plus importante. Nous avons dû organiser des réunions pour expliquer ces mesures de transition et de formation, présenter les avantages de notre démarche, dire pourquoi nous ne souhaitions pas uniquement allouer du cash, qu’il en allait de notre responsabilité, que nous voulions leur apporter des outils, les guider dans leurs démarches, leur offrir l’opportunité de changer de métier lorsque nécessaire pour rebondir professionnellement. Notre manière très honnête de présenter les choses leur a fait prendre conscience que nous nous préoccupions véritablement de leur bien-être et de leur avenir. Ce processus a pris un peu temps, beaucoup d’énergie, mais il en allait de ma responsabilité de DRH. Je suis heureux des résultats obtenus.

En quoi consiste aujourd’hui votre fonction de DRH ?

Au fil des mois, ma fonction a pris une orientation de plus en plus opérationnelle, c’est logique vu la diminution progressive de nos activités. J’assume désormais l’ensemble des tâches de gestion du personnel et règle beaucoup de questions administratives. Notre comité de direction comptait 5 personnes, je suis le seul encore à bord avec notre directeur général. Notre effectif ne compte plus que 60 collaborateurs et je leur consacre l’essentiel de mon temps. Ma mission est double : d’un côté, il s’agit de motiver nos employés à atteindre nos objectifs d’entreprise, qui donnent d’ailleurs du sens à notre quotidien puisque nous devons écouler nos stocks de produits et honorer nos clients jusqu’en 2019. D’un autre côté, je les incite à penser à eux pour qu’ils se donnent toutes les chances de retrouver un travail à la mesure de leurs compétences.

Quel état d’esprit règne aujourd’hui dans vos locaux ?

On sent bien sûr venir la fin, même s’il y a encore des mois de travail jusqu’à l’arrêt définitif des activités. Je suis impressionné par la solidarité qui a régné tout au long de ses années et les liens profonds qui se sont tissés entre nous. Nous avons dû vendre notre bâtiment et nous regrouper sur une surface réduite, nous avons plus que jamais le sentiment d’être sur le même bateau et de naviguer ensemble vers la même destination. Lorsque nous avons dispensé ces formations pour permettre à nos collaborateurs d’acquérir ou de consolider leur maîtrise de l’informatique et des langues, j’ai pu mesurer l’esprit très particulier des Editions Atlas. Spontanément et très naturellement, des collaborateurs ont mis sur pied et animé des cours pour permettre à leurs collègues d’acquérir des connaissances en bureautique, comptabilité, secrétariat et gestion de projets. Cette initiative a été remarquable et mérite d’être relevée.

Ce que vous avez vécu a été très intense, quel enseignement tirez-vous de cette expérience ?

On peut toujours faire mieux, mais sincèrement je ne ferai pas les choses différemment. Avec ma casquette de DRH, je crois pouvoir dire que nous avons tout fait, du mieux possible avec les moyens qui étaient les nôtres. Notre équipe de direction a été unie et a tiré à la même corde. Rétroactivement, je suis très fier de la confiance des collaborateurs et heureux d’avoir été à leurs côtés, alors que nous aurions pu avoir un mouvement de grève. Ce que je retiens de cette incroyable aventure, c’est que l’honnêteté, l’anticipation et la communication nous ont permis de surmonter les moments les plus tendus et aussi de maintenir notre cap puisque notre fermeture est progressive. Il a fallu continuer à faire du bon travail pour honorer nos clients durant de longs mois. C’est un avantage, on peut prévoir, veiller au bien-être des gens, donner constamment de la visibilité sur les prochaines échéances, mais cela peut parfois sembler interminable !

Comment entretenez-vous votre motivation au quotidien ?

J’avoue que certains jours il n’est pas facile de trouver sa propre motivation dans la mesure où nous n’avons plus de nouveau projet et donc peu de sources de stimulation au quotidien. Certaines périodes ont été extrêmement denses, la pression était à son comble en 2017 lors de l’annonce de la fermeture de l’entreprise. Heureusement, je fais du sport, ça m’aide à évacuer le stress et à me ressourcer. Je joue et suis le coach d’une équipe senior de football, cela me procure beaucoup de plaisir. Et j’ai moi aussi dû penser à mon avenir, j’ai entrepris une formation de coach professionnel pour mettre une corde de plus à mon arc de DRH.